Ateliers

L'Atelier Intelligence Economique de Forum ATENA est présidé par
Christophe Dubois-Damien.

 

L’atelier intelligence économique est relancé. Philippe Recouppé en a confié la présidence à Christophe Dubois-Damien, l’un des pionniers en France du sujet.

Ce dernier, sans dénaturer l’état d’esprit du concept, défend une conception élargie, transverse, collective, applicative de la méthodologie. Il préfère le terme « stratégie de l’information ».

Il est manager de transition. Il accompagne les entreprises dans l’élaboration de leur stratégie d’anticipation, d’adaptation et d’action face à l’environnement économique nouveau. 

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Big data, big brother et confiance dans l'économie numérique
(article publié dans la Newsletter Forum ATENA de décembre 2013)
 
Suite à l’intérêt suscité par la réunion « PRISM la faiblesse digitale européenne ? » organisée le 4 décembre 2013 à l’ISEP par l’atelier intelligence économique de Forum ATENA avec comme intervenants Philippe RECOUPPE, Gérard PELIKS et Olivier ITEANU aux côtés de Christophe DUBOIS-DAMIEN, ce dernier revient sur ce thème d’actualité.
 
Après PRISM, la loi de programmation militaire dans son article 13 est vue par certains comme le « Patriot Act à la française ». 
 
Les révélations d’Edward Snowden, ex consultant de la National Security Agency (NSA) américaine dénonce l’ampleur de la surveillance électronique pratiquée par les Etats-Unis sur l’ensemble de la planète.
 
Il y a la collecte de données sur internet par les géants d’internet, il y a l’espionnage des entreprises, il y a l’écoute des institutions publiques, des responsables politiques et des organisations.
 
Le grand public découvre ce que les initiés savent depuis longtemps : la France et les français sont espionnés par les américains. Nous sommes en guerre économique.
 
Pourtant, à mon avis, face à ces pratiques coupables de la NSA vis-à-vis de pays alliés, on restera au stade des protestations diplomatiques officielles outragées et des fausses contritions du Président des Etats-Unis. 
 
On pensera après tout : « Tout le monde espionne tout le monde depuis toujours, il n'y a que les moyens qui ont changés ».
 
Sauf que les moyens sont désormais d'une grande ampleur. Et que cette affaire d'espionnage montre que, sur l'ensemble de la chaîne de l'information digitale, le rapport de puissance entre les Etats-Unis et l'Europe peut probablement être évalué comme de un à cent.
 
L'électronique a bouleversé la guerre depuis les années 1970. Le numérique commence à faire la même chose dans tous les aspects de la société civile. Nous n'en sommes qu'au début. 
 
Oui nous sommes, dépendants des Etats-Unis en matière d'information militaire. On l'a vu encore récemment en Libye ou au Mali. La France ne peut rien faire sans les renseignements américains. 
 
Et bien dans les domaines de l'internet civil, nous sommes plus dépendants encore. Et cette perte d'autonomie risque de se payer cher en matière de liberté et d'économie… [ lire la suite ]
 
En fait, l’affaire PRISM met au jour deux conceptions différentes du rapport entre l'individu et la société. 
 
Pour simplifier, en Amérique, la sécurité peut passer avant le respect de la vie privée. Chaque Américain semble admettre que la police, la NSA, la CIA ou toutes autres agences d'Etat écoutent ses conversations et fouillent dans les disques durs de ses ordinateurs. Il pense cet américain que c'est pour la bonne cause de la sauvegarde de la nation. Car, au fond, le pays est doté entre guillemets d'un « bon gouvernement ». 
 
Cette vision est grosso modo partagée par les Britanniques. 
 
Elle est en revanche violemment rejetée en Allemagne, ce qui semble logique puisque l'on a souvenir d'avoir eu des « mauvais gouvernements », le mot est faible, nazi puis communiste à l'Est. Les Français eux se situent entre ces deux positions. 
 
Alors, les révélations de l'ancien consultant de la NSA Edward Snowden nous montrent que les Etats-Unis ont bien l'intention d'imposer leur vision sans discussion : ils estiment nécessaire et légitime d'écouter la Terre entière selon leurs lois à eux. 
 
Par exemple, un Allemand est espionné non pas selon les lois allemandes ou européennes, mais américaines. Tous les dispositifs scrupuleux et complexes de respect de la vie privée peu à peu mis en place dans les pays européens sont en passe d'être tout simplement rendus inopérants. 
 
Voilà pour la sécurité intérieure. La même différence de conception commence à opposer l'Amérique et l'Europe sur l'économie. 
 
Aux Etats-Unis, on accepte les dispositifs d'espionnage commercial sans trop y regarder, dès lors que des sociétés se servent des données pour offrir de « bons » services. 
 
Cet utilitarisme est plus combattu en Europe où l’idée serait plutôt : « Je veux savoir ce qu'on garde de moi, y avoir accès, pouvoir corriger et effacer ; moins on en sait sur moi, mieux je me porte, et tant pis pour le business. » 
 
Alors la révolution digitale offre un double avantage à l'Amérique. D'une part, les Etats-Unis sont naturellement plus à l'aise pour développer ces milliers d'applications et d'emplois qui vont fleurir à partir des données, les « datas ». Et plus les machines conservent des données, meilleur sera le service possiblement offert. D’autre part, les sociétés qui recueillent les « datas » sont déjà quasiment toutes américaines. Elles ont un considérable avantage de départ sur des rivaux qui voudraient se lancer en Europe. Un comble, ces entrepreneurs européens vont devoir acheter, si les Américains veulent bien vendre, des données qui « appartiennent » à des Européens. On peut ajouter que, bien entendu, la NSA écoute aussi les chercheurs, les industriels et les acteurs économiques européens. Il est plus que probable que les concurrents américains en ont, d'une façon ou d'une autre, des retombées. Enfin, il faut avoir conscience, pour boucler la boucle, que les milliards de données sont la plupart du temps stockées dans de gros centres situés sur le sol américain. Les agences de sécurité fédérales y ont accès, d'une façon. Tout se tient sur le Net : la défense, la liberté, l'économie. La révolution digitale sape les fondements de l'Europe. 
 
Un début de prise de conscience de la perte d'autonomie a lieu. Le Parlement européen entend imposer que les citoyens européens soient assujettis aux lois européennes et non pas aux lois américaines. La Commission réfléchit à une protection européenne des consommateurs. D'autres estiment que, à minima, il faut des lieux de stockage des données en Europe. 
 
L'Europe depuis les années 1970 a perdu la guerre des composants, des ordinateurs, elle n'a su conquérir que des positions marginales dans l'industrie du Net. Bref, l'e-messe est dite. En dehors d'émettre de « vives protestations » l'Europe n'a guère les moyens de peser vraiment. Regagner en puissance supposerait toute une politique d'ensemble, longue à mettre en oeuvre, coûteuse et risquée. Il faut donc faire, pour le moment, avec un Internet américain. Et PRISM, ce dispositif de surveillance de l'internet mis en place par les Etats-Unis, n'a pas que des implications sur l'avenir de la démocratie. Il a aussi des conséquences pour les entreprises françaises. Et à Forum Atena nous nous sentons concernés. Certes les conséquences ne sont pas les mêmes pour toutes les entreprises. Le boulanger du coin n'a rien à craindre, tout comme la petite PME, pour peu qu'elle n'ait pas de marchés à l'international ou qu'elle ne soit pas sous-traitante d'un groupe. Par contre pour les autres les multinationales françaises ou les ETI, les révélations de PRISM ont des impacts fondamentaux sur leur stratégie et pourraient remettre en question bon nombre de choix. PRISM n'est que le petit morceau d'un vaste programme de surveillance mis en place par les États-Unis à la suite du 11 septembre 2001. Il consiste à collecter auprès de nombreuses entreprises privées américaines les données concernant leur clientèle. 
 
Si les premières révélations Snowden pouvaient laisser penser que seuls les simples citoyens étaient visés, les précisions qui ont suivi permettent de savoir que la NSA peut récupérer les données confiées à des logiciels tels que Windows ou Lotus. Lotus ? 
 
Quel rapport avec le terrorisme ? Aucun. Il s'agit là d'espionnage industriel, destiné à assurer les intérêts économiques de la nation américaine. A partir de Windows et Lotus, la NSA s'offre un accès aux données d'une quantité faramineuse d'entreprises, en dehors de tout cadre légal.
 
Autrement dit – si une entreprise française fait face à une entreprise américaine dans un appel d'offres, – si une entreprise est le sous traitant d'une entreprise américaine, ou si une entreprise détient un savoir-faire industriel unique, une propriété intellectuelle quelconque ou encore si une entreprise représente un intérêt stratégique quel qu'il soit, et bien cette entreprise prend des risques inconsidérés et évidemment sans le savoir à utiliser tout simplement Lotus, Windows, un logiciel disponible en mode "Cloud" ou même internet.
 
Alors la ministre française de l'économie numérique propose le « Cloud souverain ». Je considère cette proposition comme limitée. La nature du réseau fait que les informations, qui y circulent, croiseront très vraisemblablement la route d'un système d'écoute de la NSA. Le "Cloud souverain" me semble être un leurre. Les principaux bénéficiaires de ce système – Bull, Thalès, Qosmos – sont par ailleurs étroitement impliqués dans l'équivalent national du programme d'écoute de la NSA, ce qui limitera d'autant leur succès en dehors des frontières françaises, et mettra l’entreprise dans une situation similaire, mais vis-à-vis de l'État français.
 
Il ne s'agit pas pour autant de revenir en arrière et de mettre un coup d'arrêt brutal à tous les programmes Cloud en cours dans les DSI des grands groupes français, mais de revoir en profondeur le risque qui y est associé. Ce risque diffère radicalement, selon que l’on a ou non quelque chose à cacher au gouvernement américain et à ses alliés en matière d’intérêts économiques.
 
La société de la surveillance est une réalité. Les conséquences sont lourdes dans la guerre économique que se livrent les nations. Les entreprises, qui ne sont que des divisions dans cette guerre, doivent apprendre à s'extraire du cadre de pensée qui consistait à contingenter ce problème au seul niveau de la cyber sécurité. Tout aussi protégé que soit son système d’information, une entreprise, si elle utilise une solution Cloud ou est équipée en Windows ou en Lotus Notes, restera une porte ouverte pour les renseignements en particulier américains. Il est temps désormais pour les dirigeants des entreprises françaises de comprendre finement les rouages de cette société de la surveillance, dans laquelle nous vivons, afin d'adapter leur vision et leur stratégie.
 
Donc de plus en plus d'affaires, PRISM en particulier, montrent que des citoyens sont espionnés, traqués, profilés par des sociétés privées aussi bien que par des Etats.
 
Quelles sont les réactions, les attitudes face à cela ?
 
Chez certains commentateurs, il y a de la résignation : « C'est le prix à payer pour le développement de nouveaux services. » 
 
On connaît aussi l’approbation moralisatrice et cynique d'Éric Schmidt PDG de Google : le fameux : « Si vous ne voulez pas que les autres sachent ce que vous faites, le plus simple est de ne pas le faire. » 
 
L’argument le plus souvent avancé est celui de l'intérêt économique. Le raisonnement est le suivant :
 
-Une part importante de la valeur ajoutée de la nouvelle économie numérique repose sur la personnalisation des services, ce qui exige la collecte de données personnelles par les fournisseurs de ces services
 
-l'Europe et la France en particulier est à la traîne en matière d'économie numérique
 
-En revanche, l'Europe, et notamment la France, est la région du monde qui porte au plus haut la défense des droits fondamentaux, notamment celui à la vie privée, et protège le plus les données personnelles.
 
-Conclusion: cette protection est un frein au développement de l'économie numérique, et l'Europe serait bien inspirée de modérer ses exigences en la matière pour favoriser l'éclosion de nouveaux services, la création et le développement d’entreprises. 
 
Certes. Il est tout à fait exact que le monde a connu dans les années 1980 la troisième révolution industrielle, fondée sur l'informatique, puis par prolongement sur Internet. 
 
Elle succédait à la première révolution industrielle en 1780 avec la machine à vapeur, puis la deuxième révolution industrielle en 1880 issue de l'électricité. 
 
D’ailleurs, à mon avis, les élites françaises ont commis dans les années 1980-1990 
 
une erreur capitale et fondamentale en pensant que, alors qu'effectivement nous sortions de la deuxième révolution industrielle, nous devions sortir du monde industriel. Elles ont pensé que l’on pouvait abandonner le monde industriel au profit du monde des services. Elles n'ont pas compris qu'on entrait dans une troisième révolution industrielle, qu’on entrait dans l'économie de la dématérialisation et qu’on devait créer un nouveau modèle..Je n’ai jamais dit que l’exploitation des données n’était pas intéressante. Je propose de réfléchir à la manière de procéder dans leur collecte.
 
Les révolutions industrielles pour réussir connaissent des phases successives. La deuxième révolution industrielle a connu son troisième stade, touchant à la façon de produire. C'est le passage de l'artisanat à l'industrie pour fabriquer des objets complexes. C’est la chaîne de montage installée par Henry Ford en 1913. En utilisant les moteurs électriques pour faire avancer sur un tapis roulant les voitures en cours d'assemblage et en uniformisant son offre, il dégage de formidables gains de productivité. Cette production de masse ouvre la voie à la consommation de masse, aux mass media et à la démocratie de masse. La troisième phase de la troisième révolution industrielle chamboule aussi notre mode de production et donc la société. Mais exactement dans l'autre sens : en exploitant des masses colossales d'informations, les entreprises adaptent de plus en plus leur offre à leurs clients Avec une offre identique pour tous, la deuxième révolution industrielle rétrécissait l'horizon. 
 
Avec l'incorporation des données, du « big data » dans le processus productif, la troisième révolution industrielle ouvre les champs des possibles.
 
La place et l’importance de l’immatériel dans notre société n’est plus à démontrer.
 
Les principaux actifs immatériels de l’entreprise sont aujourd’hui identifiés. Mais ils sont peu mis en avant. C’est regrettable car ils permettent de se différencier et d’attirer investisseurs et acheteurs.
 
Comment valoriser le capital immatériel de l’entreprise ? L’évaluation est délicate. Et il est très souvent caché de peur de se le faire dérober ou copier. Pourtant une évaluation à la juste valeur et la sécurisation de ses actifs immatériels constituent des atouts indéniables pour renforcer la compétitivité de l’entreprise.
 
Alors c’est vrai la piètre position de l'Europe dans la plupart des secteurs de l'économie numérique et son rôle pionnier dans le domaine de la protection des données personnelles sont incontestables.
 
Mais le lien de causalité entre collecte libre et débridée des données et faible développement de l’économie numérique en Europe en général et en France en particulier est loin d'être démontré. Ce retard fait l'objet de débats depuis longtemps, notamment à propos de l'industrie du logiciel (un seul éditeur de logiciels français dans les cent premiers mondiaux) alors que la collecte des données personnelles n’est devenue un véritable enjeu que récemment.
 
On serait donc fondé à penser que la faiblesse de la France dans l'économie numérique est due à un déficit plus fondamental en matière d'innovation et de construction d'un terrain technique, juridique administratif et fiscal propice à la création et au développement de nouvelles entreprises et à la transformation des entreprises existantes.
 
Il est vrai que les données personnelles sont devenues une monnaie d'échange pour accéder à des services ou à des contenus dits entre guillemets « gratuits ».
 
Mais le présupposé selon lequel cette personnalisation passe forcément par la collecte massive de données personnelles est inexacte.
 
S'il est vrai que la personnalisation repose, par définition, sur l'utilisation de données personnelles, celles-ci peuvent dans de nombreux cas, demeurer dans l'environnement de l’utilisateur, la personnalisation étant alors réalisées localement plutôt que sur un serveur central du fournisseur de services. 
 
Des solutions ont notamment été proposées pour personnaliser ainsi des publicités par rapport à des profils construits sur la machine de l'utilisateur sans jamais divulguer ses comportements à la régie publicitaire ou à un tiers.
 
Par ailleurs, ces solutions sont souvent plus efficaces, car les profits localement reposent sur des données plus riches, la machine de l'utilisateur ayant accès à l'ensemble des informations qui concernent celle-ci.
 
On touche là un point de désaccord fondamental avec le raisonnement précédent : l'attitude la plus porteuse à long terme n'est pas forcément la résignation mais plutôt l'exploitation de l'avance de l'Europe dans sa compréhension et sa défense des droits à la vie privée pour innover. Je pense que ces solutions seront demandées par les citoyens de demain. Bien entendu, il reste du chemin à faire avant que la protection de la vie privée et des données personnelles s'imposent véritablement aux citoyens et à nos gouvernants comme un impératif. 
 
On peut espérer que l’affaire PRISM sensibilisera le public. Et que les acteurs économiques finiront par se rendre compte que leur chiffre d'affaires repose sur une valeur plus importante encore que l'exploitation des données personnelles : la confiance de leurs utilisateurs. En réalité, protection des données et innovations sont les deux faces d'une même médaille. Appliquons l'une sans l'autre et nous risquons une crise de confiance.
 
Considérer notre exigence en matière de protection des données personnelles comme un obstacle au développement de l'économie numérique est une vision à court terme.
 
Profitons plutôt de notre position de leader en la matière pour la transformer en avantage compétitif. S'il n'est pas dénaturé après l'intense pression des lobbys industriels, le projet de règlement européen me semble être une chance pour notre société, et aussi une merveilleuse occasion d'innover pour notre industrie du numérique.
 
Malgré ses efforts, le gouvernement n'a pas réussi à éteindre le feu qui couve depuis une dizaine de jours sur le « Patriot Act à la française » adopté définitivement mardi au Sénat dans le cadre de la loi de programmation militaire. Deux jours après le vote, professionnels du numérique et défenseurs des droits des libertés restent fortement mobilisés contre ce texte de surveillance renforcée des internautes, jugé « liberticide » et « nuisant à la compétitivité de la France ». 
 
Ce qui est perçu comme un excès de zèle de la ministre pour défendre un dispositif qui permettra à une autorité administrative d'aller puiser toute information chez les opérateurs télécoms, hébergeurs et fournisseurs d'accès Internet irrite le petit monde du numérique. 
 
Sur le fond, on peut considérer que le dispositif pose un problème de libertés publiques et que en ce qui concerne les données, mine d'or du futur, la France fait marche arrière. 
 
Après le scandale Prism, il parait essentiel d'y voir clair. Il serait logique qu'il y ait un recours et un renforcement des contrôles car il y a un risque d'atteinte aux droits et aux libertés. 
 
Au fond, les citoyens reconnaissent que pour pouvoir empêcher de nuire ceux qui menacent notre société, nous devions renoncer à une partie de nos libertés. Nous acceptons que les caméras de surveillance permettant d'arrêter les tueurs prolifèrent dans les villes. Pour lutter contre les terroristes, nous nous résignons à perdre du temps dans des fouilles le plus souvent inutiles avant d'embarquer dans un avion. Nous comprenons que, pour lutter contre le blanchiment d'argent sale, les dépôts en liquide dans les banques soient notifiés aux autorités fiscales. 
 
Et nous admettons depuis longtemps que, pour arrêter les criminels, la police puisse procéder à des écoutes. 
 
Pourquoi, alors que nous sommes si pragmatiques, devrions-nous aujourd'hui nous révolter contre l'article 13 de la dernière loi de programmation militaire qui renforce considérablement les pouvoirs de notre cyber-police ? L'argument selon lequel seuls ceux qui ont potentiellement quelque chose à se reprocher devraient s'opposer au renforcement des pouvoirs de la police ne tient pas. L'histoire a prouvé que, trop souvent, ceux qui disposaient d'un pouvoir avaient sur la durée tendance à en abuser. Il faut encadrer les pouvoirs d'une police même démocratique et éviter de donner trop de leviers à un Etat, dont rien ne dit qu'il n’aura jamais tendance à devenir plus totalitaire. La loi ne doit pas seulement dire ce que la police peut faire. Elle doit aussi éviter que la police puisse trop en faire. Or, aujourd'hui, la loi veut donner aux autorités un pouvoir considérable sans que l’action des dites n'ait à être validée par un juge. On donne un pouvoir, sans prévoir de contre-pouvoir. Le risque de dérive est trop grand. Le cyber-citoyen doit se mobiliser pour éviter que l'Etat ne mette le doigt dans un cyber-engrenage. 
 
Derrière l’affaire PRISM et la loi de programmation militaire dans son article 13, nommée « Patriot Act à la française », se profile un problème fondamental. Il s’agit de la confiance en l’économie numérique.
 
Le sujet est capital. L'édifice de la démocratie des sociétés occidentales et en particulier de la société française est plus que jamais fragilisé en ce début de siècle par une crise de confiance à l’égard de tous systèmes, institutions ou décideurs. 
 
La confiance dans l’ « outil numérique » est la condition première, primordiale, essentielle du succès de l'ardente obligation du passage du modèle économique classique à un modèle économique nouveau. L’étude des attitudes, des méthodologies, des outils et des réalisations susceptibles d’instaurer ou de renforcer cette confiance est donc primordiale. La vigilance face à la manière des Etats ou des sociétés privées de collecter les données est indispensable.
 
Le modèle économique nouveau est un modèle, que je qualifie de « holistique ».
 
Il s’agit d’un système économique issu du numérique, qui permet aux consommateurs, aux entreprises, aux institutions et à l’État de tirer pleinement parti du système technique fondé sur l’informatique et son prolongement internet, fondé sur le capital immatériel, fondé sur l’intelligence économique et fondé sur le travail collaboratif. 
 
Passer de l’économie classique à l’économie holistique, revient à adopter un nouveau mode de compréhension de l’économie. Ce modèle économique nouveau favorise un système organisationnel susceptible de créer un élan et permet de définir une orientation stratégique pour la compétitivité et la croissance. 
 
Il ne faut pas s'y tromper, la révolution numérique nous fait franchir un intervalle aussi large que celui qui a séparé naguère la société rurale et féodale de l'ancien régime, de la société industrielle et bourgeoise déployée après 1789. 
 
Le numérique automatise en effet progressivement toutes les tâches répétitives, qu'elles soient intellectuelles ou manuelles : les usines se vident d'ouvriers pour se remplir de robots. 
 
Ce saut qualitatif vers l'économie holistique bouleverse les conditions pratiques de l'action productive et de ce fait les entreprises, le marché, les formes de la concurrence et plus généralement toutes les organisations. 
 
L’économie holistique est une économie de l’information, de la connaissance, de la compétence. Dans la conception comme dans les services, ce n’est plus la main-d’oeuvre, qui intervient, c’est le cerveau-d’œuvre, c'est-à-dire un cerveau qui met en oeuvre une compétence. 
 
L’entreprise doit savoir encourager les fédérateurs d'idées, c'est-à-dire tous ceux qui traitent de l'information, de la connaissance, de la création, de l’innovation. 
 
L’économie holistique issue du numérique a un rôle clef à jouer en termes de compétitivité et de croissance à condition que l’on puisse avoir confiance en elle.

Christophe DUBOIS-DAMIEN
Administrateur de Forum ATENA
Président de l’atelier intelligence économique

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Quelques idées très sommaires du nouveau président de l’atelier :

« Dans le milieu des années 1990, j’ai eu le sentiment que nous vivions le passage d’un monde ancien, qui n’était plus, à un monde nouveau, qui n’était pas encore. 

Nous assistions, à l'irruption de deux phénomènes : 
– l'un du champ géopolitique : la mondialisation avec comme corollaire, cause et conséquence la financiarisation de l’économie
– l'autre du champ technologique : la révolution numérique.

La complexité de ce contexte favorisait l’émergence de menaces inconnues et d’opportunités inimaginées. 

Donc, nous entrions dans un monde économique et social radicalement différent du monde pour lequel nous avions été -préparés par notre système de pensée et notre culture -préparés par l'éducation, l’enseignement et la formation,-préparés par les systèmes de management de nos organisations. Et il m’a semblé que l’on ne pouvait rien comprendre aux grandes évolutions économiques, sociales, géopolitiques et géostratégiques sans changer nos habitudes de pensée.

J’ai pris conscience que pour comprendre le contexte, il fallait faire preuve d’une recherche intellectuelle nouvelle : passer d’une attitude déductive à une attitude inductive.

La déduction est la conséquence logique tirée d’un raisonnement. L’induction est la généralisation d’une observation ou d’un raisonnement établis à partir de cas singuliers.

Donc pour essayer de saisir le nouvel environnement dans lequel nous évoluions, il fallait conduire une démarche épistémologique, construire une configuration du savoir correspondante à l’époque contemporaine.

Il est nécessaire de passer d’une logique cartésienne de déduction, à une logique d’induction d’observation de processus inédits, de repérage d’éléments qualitatifs nouveaux, de détection de signaux faibles.

Comment évoluer dans ce monde complexe, rapide, transversal ?

En prenant conscience du rôle essentiel, du rôle central  de l’information et en l’élaborant en stratégie.

L’Intelligence économique ou stratégie de l’information nous apporte LA grille de lecture.  

Oui, l’information joue un rôle central. Mais il faut savoir la « raffiner » et réussir les passages par étapes de la donnée à l’information, de l’information à la connaissance, de la connaissance à l’intelligence et l’action.

La stratégie de l’information ou intelligence économique est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise et la protection de l’information stratégique par et pour les agents économiques. Elle a pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’entreprise.

L'entreprise dispose d’informations structurées, de données chiffrées (factures, fiches de stocks, états financiers).

Mais la richesse principale d’une entreprise n’est plus constituée par ses actifs matériels.

Aujourd’hui l’essentiel de la valeur de l’entreprise est constitué par des actifs immatériels : compétence des collaborateurs, processus, marques, échanges d’informations, liens tissés avec les partenaires, réseaux performants, intelligence des risques, capacité d’influence. Il faut savoir fluidifier les actifs matériels.

Après l’informatique de production, l’informatique de gestion, il faut passer à l’informatique collaborative de mise en perspective de connaissances stratégiques capable d’appréhender l’information non structurée.

Parallèlement à la première vague d’informatisation des données chiffrées, la révolution de l’utilisation de l’ordinateur individuel et de l’ouverture des réseaux sociaux est venue modifier le paysage numérique.

Comment tirer le meilleur parti de cette information non structurée pour prendre les décisions dans ce vaste océan de documents, de mails, de blogs, d’idées sur les intranets ou les réseaux sociaux ? Tel est l’enjeu. Comprendre quelle relation l’entreprise doit entretenir avec l’information est capital.

Dans l’entreprise, la gestion des savoirs, la maîtrise de l'information, la mise en perspective stratégique ne sont pas des enjeux uniquement réservés aux spécialistes. Chaque collaborateur se doit à son niveau d’être acteur de la diffusion de bonnes pratiques visant à structurer et organiser et mettre en perspective stratégique les flux d’information. Cette attitude doit favoriser la démarche transversale de décloisonnement des services de l’entreprise souvent organisés en silos.  

Cet atelier a l’ambition de démontrer, à partir de mon cheminement intellectuel, sur la base d’expériences et de solutions pratiques et compte tenu de la prise de conscience de l’existence de freins au développement de la démarche d’intelligence économique :

– Pourquoi  le concept de stratégie de l’information  est devenu indispensable à toute entreprise, dans un contexte de changement de paradigme, de passage de l’ère industrielle et commerciale classique à l’ère de l’information et de la connaissance.
Ce changement de paradigme ayant pris forme dans des domaines clés de l’économie : la production de biens et services à partir des années 1980-1990, les technologies numériques de l’information, la valorisation du capital immatériel. 

– Comment mettre en place avec succès le concept de stratégie d’information dans l’entreprise ?  

J’entends par « économie industrielle et commerciale » l’économie classique telle qu’elle existait avant la mondialisation contemporaine et l’essor du numérique. 

Il s’agit de pérenniser cette économie industrielle et commerciale grâce à la mise en place des principes et méthodes de l’économie de l’information et de la connaissance.

Cette économie « classique » doit et peut bien sûr perdurer mais il faut qu’elle s’adapte aux menaces et opportunités de l’environnement nouveau.

Il est primordial de comprendre cette démarche car elle constitue une pièce maîtresse de la stratégie managériale de l’entreprise d’aujourd’hui.

L’objectif de l’atelier, grâce à un travail collaboratif, inspiré d’un esprit de transversalité et dans une ambiance joyeuse est de diffuser et d’échanger ces idées pour le plaisir et l’intérêt de chacun »